Faculté & Recherche -Actionnaires : la fin du pouvoir absolu?

Actionnaires : la fin du pouvoir absolu?

Benoît Hamon prône une véritable révolution de la gouvernance des entreprises. Il propose que les conseils d’administration soient désormais composés -à parité- de représentants des actionnaires, des salariés et des autres « parties prenantes » (consommateurs, riverains, sous-traitants,…). Réaliste ?  Dans une économie ouverte, pas facile d’attirer les investisseurs en imposant des règles du jeu si atypiques. Difficile aussi de diriger une structure en tenant compte d’intérêts aussi disparates. Cependant, ce projet de réforme témoigne d’un état d’esprit. Le règne sans partage des actionnaires sur les entreprises semble de moins en moins accepté.

Un nombre croissant de firmes françaises ont d’ailleurs commencé à associer à leur pilotage de nouveaux partenaires. La démarche était pionnière au début des années 2000. Elle s’est banalisée ces dernières années. Au nom de leur responsabilité sociétale, une grande partie des entreprises du CAC 40 et de plus en plus de sociétés de taille moyenne mettent désormais en avant la manière dont elles prennent en compte les intérêts des consommateurs, riverains, sous-traitants,… La « Global Reporting Initiative » et la norme ISO 26 000  permettent d’évaluer et reconnaître la réalité de ces engagements.
En route vers la co-gestion ? L’Allemagne a sans conteste une longueur d’avance sur ces questions. Le dialogue avec les syndicats y est une tradition. Les représentants des parties prenantes y sont désormais souvent consultés, avec des effets très concrets. Ainsi, chez Puma, des ONG, interpelant la direction sur les conditions de travail en vigueur chez leurs sous-traitants d’Asie et d’Amérique Latine, ont finalement collaboré avec l’entreprise pour améliorer leur situation. Elles ont aidé Puma à acquérir une véritable expertise sur le sujet, dédiant une équipe internationale au suivi social des sous-traitants.
Les sociétés suisses et scandinaves s’intéressent également beaucoup à ce dialogue avec les parties prenantes, travaillant activement à construire du consensus à partir d’intérêts divergents.

La situation évolue

En France, on part de plus loin. Un historique de confrontations ne facilite pas les choses. Mais la situation évolue et, ces dernières années, de plus en plus de cabinets de conseil proposent d’accompagner les firmes qui veulent se lancer, car la question de l’organisation concrète du dialogue se révèle centrale. Ponctuel, engagé seulement en cas de crise, ou bien régulier ? Associant uniquement des partenaires reconnus, habituels, ou bien plus largement ouvert, y compris à des structures perçues comme relativement hostiles ou, en tous cas, bruyantes? Consistant surtout en de l’écoute ou bien aboutissant de manière volontariste à des actions, des projets co-construits ?
Ce sont ces différences qui changent tout. Or, la recherche que nous avons menée auprès de sociétés de tailles et de secteurs divers montre à quel point sont hétérogènes les pratiques des compagnies qui disent dialoguer avec leurs parties prenantes.
Les firmes sont aujourd’hui tenues d’établir une cartographie complète des personnes impactées par leurs activités.  Mais un grand nombre d’entre elles n’engagent le dialogue avec ces partenaires que pour déminer des situations de crise, dans des périodes de forte pression. D’autres prennent les devants mais sont réticentes à sortir de leur tour d’ivoire, ne discutant qu’avec des groupements identifiés comme assez favorables et choisissant de manière unilatérale les sujets sur lesquels elles acceptent d’ouvrir le débat.

Que faudrait-il faire pour aller au-delà de ces pratiques embryonnaires?

Aucune méthode type ne peut être préconisée tant les contextes sont différents. Cependant, il est clair qu’un dialogue de long terme, à partir de rencontres régulières, permet aux uns et aux autres de mieux se connaître, d’aller au-delà des revendications en tous sens, des confrontations systématiques, de construire progressivement une relation de confiance. Une étape indispensable pour que l’entreprise comprenne précisément les attentes de ses partenaires, reconnaisse les expertises existant hors de ses murs, voire accepte de partager des informations sensibles.
Renouveler les sujets de discussion et les parties prenantes invitées à la table des négociations est également nécessaire pour éviter qu’avec le temps le dialogue ne s’enlise dans une routine. L’invitation d’experts peut enrichir les débats. La présence de modérateurs est souvent utile. Peu d’entreprises en ont aujourd’hui conscience.
La diffusion des mesures prises à l’issue de ces réunions n’est pas non plus toujours à la hauteur de ce qu’elle devrait être.  Les managers de terrain des différents départements de l’entreprise ne sont souvent pas dans la boucle. Or sans mesures concrètes mises en œuvre et sans feed-back auprès des parties prenantes, la concertation n’est qu’un faux-semblant. Pas un hasard si les entreprises les plus satisfaites du dialogue sont celles qui ont su créer des processus pour aboutir à des décisions, avec un suivi précis de leur application.
Dans le contexte actuel, il apparaît que l’engagement personnel des dirigeants joue un rôle majeur sur ces sujets. Sont-ils ou non convaincus que la démarche est autre chose qu’une manière de faire bonne figure, d’apparaître comme politiquement correct, quitte à perdre leur  temps ?
Plusieurs recherches convergentes ont montré que ces pratiques, lorsqu’elles sont mises en place de manière structurées, boostent la performance globale des sociétés. Elles améliorent leur image de marque, leur ancrage territorial, les aident à retenir les talents. Elles leur permettent de mieux anticiper les risques et les règlementations, ce qui n’est pas rien. Elles suscitent des innovations qui les aident à se différencier.
Les firmes les plus avancées de notre échantillon mettent clairement en évidence l’apport d’un dialogue nourri avec les parties prenantes. Gageons qu’à défaut de réforme légale imposée à échelle nationale, les bons résultats de ces entreprises inciteront les autres à s’inspirer de leurs pratiques.

 

 

Par Julia Roloff, Associate Professor, Management & Organizations academic area, Rennes Business School et Laetitia Guibert, Nicomak

Cet article est aussi paru dans Libération, le 3 avril 2017

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