Faculté & Recherche -“Circulation des cerveaux” : quand la recherche universitaire soutient le commerce mondial

“Circulation des cerveaux” : quand la recherche universitaire soutient le commerce mondial

Le milieu universitaire affiche, entre autres objectifs, le souhait d’alimenter le monde des affaires des fruits de son activité de recherche. Pour y parvenir, il est toutefois nécessaire que ces deux univers évoluent dans la même direction. Les publications dans les meilleures revues académiques ont été pendant de nombreuses années réservées aux États-Unis, reflétant le paysage des écoles de commerce de l’époque. La donne a changé : via leur contenu comme les experts qui s’y expriment, les publications universitaires doivent être en mesure de refléter la diversité actuelle du monde de l’entreprise. Elles resteront ainsi une source de référence, d’apprentissage et de mise en pratique crédible.

L’année 2017 l’a prouvé : à l’échelle mondiale, les entreprises doivent accéder facilement aux grands cerveaux et aux talents internationaux. Ce n’est donc pas une coïncidence si l’AIB (Academy of International Business), la principale association de chercheurs dans le milieu des affaires, est présente dans pas moins de 88 pays pour un total de 3 188 membres (selon les statistiques publiées en février 2016). Pour que le monde des affaires internationales tire un véritable apprentissage de la communauté universitaire mondiale, cette dernière doit proposer une vaste couverture géographique, ainsi que des profils et des niveaux d’expérience variés. Elle sera dès lors en mesure de fournir une vision aussi exhaustive que possible des tendances commerciales actuelles et futures.
Un rayonnement universitaire mondial pour un business lui aussi mondial

La communauté AIB montre à quel point la donne a changé au cours des trente dernières années. Le nombre de membres de l’association a décuplé, tandis que l’origine géographique des producteurs de contenus s’est progressivement éloignée des États-Unis. Il est toutefois important d’étudier également le niveau d’expérience des contributeurs indépendamment de leur contexte. Pour apporter une vision nouvelle, une plus grande diversité en termes d’origine géographique est primordiale, tout comme, de manière générale, l’apport de « sang neuf », permettant de varier les contributeurs d’une publication à une autre. La baisse drastique du coûts des communications depuis vingt ans offre une fluidité sans précédent à la mobilité humaine. Les réseaux et les communautés universitaires n’ont aucune excuse : ils peuvent aisément devenir « multipays », tout en proposant un meilleur équilibre entre les nouveaux auteurs et les signatures récurrentes au sein de leurs publications.

Une communauté en mouvement, observée au microscope

Depuis vingt ans, les échanges et les communications universitaires ont connu un boom incommensurable grâce aux technologies et à la connexion (virtuelle comme physique) plus rapide entre régions et pays. Des écoles de commerce de qualité ont ainsi pu émerger et se multiplier dans le monde entier, et avec elles la collaboration internationale dans de nombreux champs de recherche : sciences, sciences sociales, arts et sciences humaines. La création et le partage d’un bassin de connaissances plus riche au profit des entreprises sont la conséquence vertueuse de ces évolutions au niveau des écoles de commerce et des publications universitaires.
 
Une étude récente a évalué l’importance et l’intérêt pour le monde de l’entreprise de ces changements dans le paysage des publications académiques. Axée sur la revue Journal of International Business Studies éditée par l’AIB, elle affichait un objectif simple : évaluer concrètement de quelle manière la mobilité universitaire se traduit par un contenu plus diversifié pour les professionnels, mais aussi par une base de connaissances plus vaste: la nationalité des auteurs, leur lieu d’études, le lieu de production et les destinataires des articles académiques.

Le nouveau visage de la production académique

L’étude pointe les tendances récentes qui ne manqueront pas d’intéresser les professionnels à la recherche d’un contenu qui ne soit plus dominé par les États-Unis et par ses auteurs récurrents. Elle a comparé deux périodes : 1972-1994 et 1995-2014. Elle a ainsi relevé une augmentation de 60 % des auteurs publiant pour la première fois, preuve du changement d’orientation de la production intellectuelle à l’attention du monde des affaires. Le nombre d’auteurs récurrents a quant à lui commencé à diminuer à partir de 2010, garantissant une plus grande diversité de contributeurs et donc de visions. Une tendance qui s’est encore accentuée à partir de 2011 avec la hausse du nombre d’articles produits par des équipes « multi-auteurs » et « multi-pays », qui ne doit pas être négligée par les « multinationales » à la recherche d’une vision plus globale de certaines problématiques dans les revues académiques. Si les États-Unis restent dominants dans le paysage, l’émergence d’auteurs provenant de pays comme la Chine, le Canada, les Pays-Bas, l’Australie, l’Allemagne ou encore Singapour, atteste la volonté d’une approche et de contenus toujours plus internationaux.

“Circulation des cerveaux” : plus qu’un simple tourisme intellectuel

Ce nouveau visage de la production académique, qui tend vers une communauté toujours plus cosmopolite, présente un intérêt commercial évident : le monde de l’entreprise, bien que géographiquement dispersé, est de plus en plus interconnecté. L’univers des sciences de la gestion a suivi le mouvement, avec à la clé des apports et des visions plus variés en amont et en aval des carrières universitaires actuelles. Avec ce phénomène de « circulation des cerveaux », les chercheurs se répartissent désormais en trois catégories : en fonction de leur pays d’origine, de l’établissement qui a délivré leur doctorat, ou encore de leur affiliation universitaire.

Selon le degré de divergence ou de convergence de ces trois critères, différents profils se dessinent dans le business international : les autochtones, les migrants à la recherche d’un doctorat ou d’un emploi, les rapatriés, ou encore les nomades.

Un niveau accru de sophistication et de diversité voit le jour au sein de la jeune communauté universitaire, avec la diffusion croissante de publications non-américaines, par des universitaires plus expérimentés rédigeant leurs premiers articles.

Tout porte donc à croire que la circulation de la production intellectuelle va encore gagner du terrain dans le monde, à la satisfaction forcément évidente du monde de l’entreprise.


Ce texte s’inspire de l’article « Le nouveau visage de la rédaction du “Journal of International Business Studies” », écrit par John Cantwell, Anke Piepenbrinck, Pallavi Shukla et Alexandra Vo, et publié dans le Journal of International Business Studies (47, 2016).
 
Anke Piepenbrinck est professeur agrégée en stratégie et en innovation à Rennes School of Business. Ses domaines de recherche comprennent l’innovation et les réseaux interorganisationnels, l’évolution des systèmes technologiques aux niveaux micro et macro, et la structure des connaissances.

John Cantwell est professeur émérite, Pallavi Shukla est professeur assistant de pratique professionnelle, et Alexandra Vo est doctorante à l’Université Rutgers (Newark, États-Unis).

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