Faculté & Recherche -L’externalisation informatique, un équilibre à trouver sur le plan financier et relationnel

L’externalisation informatique, un équilibre à trouver sur le plan financier et relationnel

L’informatique est l’un des services les plus fréquemment externalisés par les entreprises, que ce soit pour pallier un manque de ressources humaines en interne ou une expertise insuffisante. Malgré son apparente simplicité, la sous-traitance d’une activité à un prestataire s’avère souvent moins aisée que prévu. La gestion des coûts et des relations avec un partenaire extérieur peut tourner au cauchemar financier si les termes du contrat ne sont pas bien définis dès le départ. Mais tout espoir n’est pas perdu si l’on aborde la négociation puis le pilotage des projets informatiques préalablement à l’intervention des fournisseurs.

Quel que soit le type de prestation achetée, l’externalisation entraîne par définition une certaine perte de contrôle par le client qui renonce à tout gérer en interne. Les accords contractuels se justifient pour des raisons évidentes telles que le chiffrage du coût du projet et des délais de livraison. Mais les services informatiques sont notoirement difficiles à évaluer du point de vue du client, du fait des nombreux motifs de retard potentiels qui sont souvent imputés à juste titre à des raisons purement techniques. Il suffit de prendre l’exemple emblématique de JP Morgan qui a rompu un contrat sur 7 ans conclu avec IBM pour un montant de 5 milliards de dollars, après avoir mis seulement 2 ans pour en estimer les risques.

Sous un angle plus positif, l’externalisation informatique peut également renforcer la qualité globale des services et des outils proposés par l’entreprise et lui permettre d’utiliser ses ressources internes de manière plus performante et plus rentable. Mais un projet informatique sous-traité peut virer au cauchemar financier et/ou diplomatique dès que son coût commence à grimper.

Contestation mode d’emploi

L’escalade des coûts désigne l’écart entre le coût estimé d’un projet et son coût réel. Les entreprises ne vont évidemment pas évaluer la valeur des services d’un fournisseur externe au centime près, mais elles peuvent mieux se protéger en cas de livraison tardive et de dépassement des coûts. Avant de signer un contrat, elles doivent d’abord s’assurer qu’elles disposent d’outils pour évaluer les coûts et les performances. On peut toujours accuser un sous-traitant de surfacturation ou de retard de livraison, mais faute d’indicateurs adéquats, sur quelles bases contester le service fourni ?

Une compréhension détaillée du contrat

Les litiges portant sur les coûts et les délais invoqués à la fin du projet peuvent être assimilés à un « hold-up », à savoir une situation de blocage où le client est piégé par les termes du contrat conclu initialement, ce qui renforce le pouvoir de négociation du fournisseur. C’est pourquoi il est essentiel d’avoir accès aux termes, conditions et clauses détaillées du contrat original. Le client peut toujours s’adresser à un autre fournisseur, mais le redéploiement des ressources a aussi un coût. De plus, une telle démarche ne se justifie pas forcément du point de vue financier ou sur le plan de la gestion de projet si le client dépend déjà en grande partie des compétences et l’expertise du sous-traitant et si le projet a bien progressé jusque-là.

Il faut du temps pour établir un contrat et un cadre de projet capables de préserver les deux parties. Les entreprises doivent mettre en place des outils d’évaluation pour mesurer les performances tandis que le prestataire doit fournir des rapports tout au long du projet pour justifier le temps et l’argent utilisés. Les accords informels sont toujours sources d’abus. Cependant, deux approches peuvent être envisagées pour gérer les contrats d’externalisation de manière plus souple.

Responsabiliser les fournisseurs et développer la confiance

Bien que potentiellement difficile à gérer en interne, le « multi-sourcing » est une option viable : il s’agit pour le client d’externaliser l’ensemble d’un projet auprès de différents fournisseurs, en les informant chacun de cette répartition. Le fait de connaître l’implication d’un concurrent potentiel sur le projet soumet les prestataires à une certaine pression, ce qui peut favoriser le respect des délais et la justesse des coûts. Ou encore mieux : faire jouer le « mécanisme de clan » dans lequel les clients font appel aux fournisseurs qui leur ont déjà donné satisfaction et avec lesquels ils souhaitent nouer un partenariat à long terme. Les risques de litiges sont ainsi encore plus réduits. Ces deux approches devraient en toute logique inciter les clients à être plus exigeants et réalistes par rapport aux capacités de leurs fournisseurs ainsi qu’à les responsabiliser, avec à la clé une ambiance nettement plus sereine pendant toute la durée du projet.

Des recherches en perspective

Pour les entreprises qui se lancent dans un processus d’externalisation informatique, le modèle décrit ci-dessus est plus difficile à appliquer et elles devront mener leur recherche de sous-traitants de A à Z. Cependant, elles doivent impérativement commencer par se doter d’outils d’évaluation pour se protéger en cas de litiges ultérieurs. Un pilotage plus souple de la sous-traitance est souhaitable pour tous les acteurs, mais il importe de préserver la clarté et le caractère formel du contrat initial.

Ce sujet constitue un vaste domaine d’études pour les chercheurs comme pour les professionnels de l’entreprise. Il faut prendre en compte les capacités du client et du fournisseur ainsi que la gestion de leurs relations, sans se limiter aux aspects matériels du projet en cours. L’objectif est clair : éviter les conflits par tous les moyens. Non seulement le client risque de payer un prix trop élevé pour un projet en raison des imprécisions du contrat initial, mais comme lui, le fournisseur considère que « le temps c’est de l’argent », ce qui rend les litiges coûteux dans tous les sens du terme. Toutes les parties devraient donc chercher à développer une relation de collaboration contractuelle plus claire mais aussi plus équilibrée.

 


Cet article est basé sur l’étude Cost escalation in information technology outsourcing: A moderated mediation study, (Escalade des coûts dans l’externalisation informatique : analyse de médiation modérée) réalisée par Bouchaib Bahli et Suzanne Rivard et publiée dans la revue Decision Support Systems – 2013 (volume 56).

Bouchaib Bahli est professeur des technologies d’information à l’ESC Rennes School of Business (France). Ses domaines de recherche portent sur l’externalisation informatique, la gestion des risques liés aux projets de développement logiciel et les modèles d’adoption des systèmes d’information. Ses articles ont été publiés dans les revues suivantes : Decison Support Systems, Information and Management, Journal of Information Technology, OMEGA, Communications of AIS, Requirement Engineering Journal, Systèmes d’information et Management.

Suzanne Rivard est professeure des technologies d’information à HEC Montréal (Canada). Ses recherches portent sur l’externalisation, l’alignement stratégique des systèmes d’information et la gestion des risques liés aux projets logiciels. Ses travaux ont été publiés notamment dans les revues Journal of Information Technology, Journal of Management Information Systems, MIS Quarterly et Organization Science.