Faculté & Recherche -Tarif des émissions de carbone : plus que de la simple politique ?

Tarif des émissions de carbone : plus que de la simple politique ?

Maintenir les émissions de carbone au plus bas est une nécessité : la consommation verte et durable devient un enjeu aussi bien environnemental que politique et financier. Dans ce contexte, les gouvernements doivent poursuivre plusieurs objectifs de front : gérer efficacement l’agenda de leurs actions durables, maîtriser les marchés pour inciter les institutions à utiliser des ressources respectueuses de l’environnement, mais aussi – et surtout – satisfaire l’électorat. D’autant que la perception du marché et la médiatisation de carburants plus verts doivent être pris en compte dans l’équation : illustration de l’impact du Parlement européen sur le tarif des émissions de carbone.

Nous sommes plus soucieux de l’environnement : il est clairement dans l’intérêt des décideurs de maintenir au plus haut le tarif des sources d’énergie polluantes, tels que le charbon, pour encourager l’investissement dans des options plus propres comme le gaz. Le Parlement européen y contribue par exemple via le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE, ou, en anglais, “Emission Trading Scheme” ou encore “European Union Emission Trading Scheme”), un mécanisme de droits d’émissions (de CO2) mis en œuvre au sein de l’Union européenne dans le cadre de la ratification par l’UE du protocole de Kyoto. Ce système s’appuie sur un calendrier de décisions visant à réguler les quotas d’émissions sur le marché, des allocations qui permettent aux institutions réglementées d’émettre jusqu’à une tonne de CO2. Le Parlement doit ainsi faire preuve d’équilibre, en estimant l’ensemble des besoins, politiques comme non-politiques, ainsi que la nécessité d’encourager les investissements verts et la nécessaire réduction des émissions. Cela dit, d’autres facteurs affectent également les prix et la consommation énergétique qui en résulte.

Le prix de la politique

En avril 2013, les votants n’ont pas saisi la proposition du Parlement européen d’augmenter le prix des carburants polluants dans le cadre du SCEQE. Conséquence : une baisse significative des tarifs en raison de mesures réglementaires, partiellement affectées par les querelles politiques opposant le Parlement européen, la Commission européenne, le Conseil et les députés européens. Il a cependant été communément admis que les décisions politiques sont généralement prises en réaction à la nature du marché, plutôt que par anticipation de ses évolutions. Dans ce contexte, une question se pose : quelles conditions de marché peuvent avoir un impact sur les décisions politiques de l’Union européenne, et quelles sont leurs influences sur le tarif des émissions ? Une institution comme l’Union européenne n’a pas la latitude d’une banque : quand les politiques de tarification des émissions compliquent, notamment, les conditions de marché, comment peut-elle faire face ? Quelle meilleure façon de procéder ? Une étude récente a approfondi la question, en évaluant l’impact de la perception du marché et de la médiatisation des politiques de prix des émissions de carbone.

Prendre la température du marché

Si une institution comme le Parlement européen répond aux attentes du marché plutôt que de le façonner, le marché et sa perception ont un rôle fondamental à jouer. Une faible confiance de sa part dissuadera ainsi l’investissement dans des sources d’énergie. A l’inverse, le temps accordé à cette question primordiale dans les médias peut avoir un impact sur l’attention du marché vis-à-vis de la problématique des émissions de carbone, et modifier ainsi son désir d’investissement. C’est en ayant à l’esprit ces deux constats qu’une étude récente a observé pas moins de 29 décisions politiques émises par des Parlements européens concernant les émissions de carbone et de gaz. L’origine (politique ou non) de chaque décision a été prise en compte et des matrices ont été établies, pour appréhender le sentiment du marché sur la base du volume de transactions, du niveau de volatilité, et de l’attention suscitée par le niveau de couverture médiatique. Ainsi, selon les résultats de l’étude, la question du tarif des émissions dépasse largement le cadre politique.

Trois principales conclusions ressortent de l’étude. Tout d’abord, les décisions non politiques adoptées par le Parlement européen ont eu un effet négatif sur les prix. Ces mesures comprenaient un engagement général pour répondre à certains objectifs de changement climatique, l’évaluation des risques de fuite de carbone, et la mise en œuvre d’échange de quotas de gaz à effet de serre. D’autre part, les décisions politiques liées à l’établissement de limites dans les émissions de gaz à effet de serre et à l’inclusion du transport aérien dans le cadre du SCEQE augmentent la probabilité de volatilité du marché ; en termes de sentiment et d’attention du marché, plus le niveau est bas et plus les chances d’une chute des prix sont élevées. Enfin, la couverture médiatique est particulièrement révélatrice de l’effet de réaction en chaîne des nouvelles (bonnes ou mauvaises) sur les investissements, qui ont à leur tour une influence sur les décisions politiques du Parlement européen.

La nécessité d’une orientation et d’une communication claires

Ces résultats, assortis au fait que les décisions de tarification des émissions sont connues pour avoir un effet négatif sur une période donnée même après l’annonce, montrent que la communication est la clé pour mieux préparer le marché à l’implication des politiques de tarification des émissions. Les organes décisionnels doivent planifier et communiquer à plus long terme s’ils veulent mieux informer les investisseurs potentiels. Cela permettrait ainsi d’avancer clairement vers une réduction de l’incertitude du marché en période de mauvaises nouvelles et de perception négative du marché. Car tant qu’un combustible polluant comme le charbon reste moins cher que son alternative propre, les décideurs politiques et les investisseurs devront, dans la mesure du possible, travailler main dans la main afin de maintenir le dynamisme du marché et de garder la planète propre. L’orientation et la communication sont essentielles à ce processus, tout autant qu’une politique de production d’énergie responsable.


Ce texte s’inspire de l’article “Influence du parlement européen sur les tarifs des émissions de gaz en UE”, écrit par Peter Deeney, Mark Cummins, Michael Dowling et Alan F. Smeaton et publiés dans la revue “Energy Policy” (88, 2016).

Michael Dowling est Professeur Assistant en finances et en comptabilité à Rennes School of Business. Ses domaines d’intérêt comprennent le modèle d’évaluation des actifs financiers, le comportement des PME, la psychologie de l’investisseur ou encore le financement du secteur de l’énergie.