Faculté & Recherche -Vidéos en ligne : une addiction orchestrée

Vidéos en ligne : une addiction orchestrée

Pourquoi un coup d’œil sur une vidéo de 3 minutes se transforme si souvent en 3 heures de « binge visionnage ».
L’addiction aux réseaux sociaux est devenue un sujet majeur de préoccupation. Mais on parle moins de l’addiction aux chaînes de vidéo en ligne, qui fait pourtant aussi des ravages. Chaque jour de l’année, les capsules YouTube sont consultées pendant un milliard d’heures dans le monde. La durée moyenne d’une session est de 3/4h, mais certains des 1,5 milliard d’utilisateurs, en général ceux qui ont le moins de contrôle et d’estime d’eux-mêmes, y consacrent au quotidien beaucoup plus de temps. Ils regardent pendant des heures, films, vidéos humoristiques, vidéo d’infos,… y compris lorsqu’ils sont hors de chez eux, dans des situations dans lesquelles ils devraient, normalement, interagir avec d’autres personnes, dans la vraie vie.

Les systèmes de recommandations personnalisées, proposant de nouvelles vidéos conformes aux goûts de chacun, avec un démarrage automatique dès que s’arrête la précédente, contribuent pour beaucoup à l’utilisation excessive des vidéos en ligne Les chaînes de télévision classiques, ont bien du mal à suivre avec leur marketing moins finement ciblé. Youtube est réputée pour ses recommandations utilisant de puissants algorithmes.  Des sites de streaming payants comme Netflix et Amazon Prime Vidéo ne sont pas en reste. Ces plateformes connaissent tout de nos comportements et de nos choix passés en ligne. On dirait même parfois qu’elles suivent nos humeurs !

Nos recherches mettent en évidence le fait que le manque de maîtrise de soi est un des facteurs majeurs de l’usage excessif de vidéos en streaming. Soumis à des tentations aussi savamment orchestrées, ceux qui se contrôlent le moins bien, craquent et continuent à visionner des vidéos, alors même qu’ils auraient autre chose à faire, notamment travailler ou dormir, mettant en danger leur vie sociale et leur santé.  

On regarde souvent une vidéo au départ parce qu’on recherche une information, mais on continue à en regarder ensuite pendant longtemps en ayant conscience qu’on ne peut pas s’en empêcher !

Est-il acceptable de laisser ainsi quelques opérateurs internationaux très puissants kidnapper le temps libre et l’attention de centaine de millions d’individus pour en tirer parti financièrement ? Nous ne le croyons pas. Des mouvements comme « Time well spent » se sont créés récemment pour lutter contre ce kidnapping des cerveaux, en faisant la promotion d’outils technologiques plus éthiques.  

Se réapproprier le temps

Le Centre pour une technologie humaniste (Center for Humane Technology), fondé par un ancien cadre de Google en rébellion contre les méthodes de l’entreprise milite depuis 2013 pour une meilleure régulation des activités en ligne et la diffusion de nouvelles applications permettant aux gens de se réapproprier leur temps. Mark Zuckerberg a affirmé, début 2018, qu’il voulait réformer le fonctionnement de Facebook en tenant compte de ce mouvement critique grandissant.  De nombreuses applications et plugin de navigateurs ont par ailleurs été inventés pour freiner l’usage excessif des écrans.

Distraction Free Youtube, par exemple, bloque le système de recommandations de la chaîne de vidéos. News Feed Eradicator, une autre extension de navigateur, stoppe les notifications intempestives de Facebook. Des outils comme Rescue Time ou Moment vous permettent de visualiser le temps que vous passez sur chaque application afin d’en prendre conscience.  Freedom peut bloquer l’accès de votre smartphone à Internet, aux réseaux sociaux ou à des applications spécifiques, pendant des périodes de temps que vous pouvez déterminer. Stayfocus fait de même lorsque vous êtes sur votre ordinateur.

Tristan Harris, le jeune créateur du Center for Humane Technology, s’exprime très volontiers sur YouTube afin d’expliquer son ambition de mettre la technologie au service de l’humain. Pour lui et tous ceux qui se rassemblent autour du mouvement “Time Well Spent”, il est aujourd’hui indispensable que les nouvelles applications soient désormais conçues en respectant des règles éthiques, avec des outils d’intelligence artificielle qui favorisent non pas leur usage excessif mais le contrôle de soi et l’estime de soi de leurs utilisateurs.

Un programme ambitieux, mais qui pourrait déboucher sur une véritable amélioration de notre qualité de vie.


 

Par Rajibul Hasan, professeur de Marketing à Rennes School of Business