Faculté & Recherche -Recherche et Innovation comment investir de manière judicieuse

Recherche et Innovation comment investir de manière judicieuse

Les institutions scientifiques, les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises sont de plus en plus nombreux en Europe à s’unir dans le cadre de stratégies de recherche et d’innovation. Ces initiatives nécessitent l’injection de capitaux : il est donc essentiel d’évaluer le retour sur investissement pour chacune des parties prenantes, ainsi que les répercussions économiques de ces groupements dans leur région d’implantation. Une étude récente, portant sur un collectif situé à Grenoble, a souligné l’importance cruciale des aspects sociaux et entrepreneuriaux d’une telle combinaison d’expertises sur une région donnée.

 

Connue sous le nom de modèle « d’innovation territoriale », la mise en commun de l’expertise scientifique, académique et business dans un domaine donné peut revêtir diverses formes, entre secteurs industriels traditionnels, milieux innovateurs, systèmes d’innovation régionaux, nouveaux espaces industriels et groupements régionaux. Les objectifs ultimes d’une telle stratégie de recherche et d’innovation sont clairs : promouvoir des investissements cohérents et structurés, fournir un catalyseur indispensable à la recherche et à l’innovation, soutenir le développement économique, mais aussi chercher à réduire les différences de santé économique entre les différentes régions. L’Union européenne est à ce titre un cas particulièrement pertinent, avec ses disparités distinctes qui subsistent entre les pays et les régions membres.

Investir tout en générant de la richesse

Avant de s’engager dans une quelconque collaboration, un laboratoire, un établissement d’enseignement supérieur ou une entreprise vont nécessairement se poser une question légitime : quel intérêt pour eux, et quel profit pour la région ? Se lancer dans un projet de recherche et d’innovation implique d’investir à long terme : les partenaires exigeront forcément un retour sur ces investissements. Au niveau local, ils peuvent également espérer booster l’emploi. D’un point de vue plus conceptuel, l’émergence du modèle d’innovation territoriale permet également de faire avancer le débat sur l’utilité des organisations s’engageant dans une stratégie de recherche et d’innovation. Enfin, la question de l’utilisation des fonds publics dans le cadre de tels projets reste incontournable, compte tenu de leurs répercussions potentielles en fonction de leur succès ou de leur échec.

Peser le pour et le contre

Par définition, la notion de pôle d’activités implique à la fois une combinaison d’expertises et un certain niveau de concurrence. Les entreprises publiques ont démontré, de manière générale, leur utilité pour les start-ups à la recherche d’une main-d’œuvre qualifiée, d’économies externes et de réduction des coûts de transaction. Selon le modèle d’innovation territoriale choisi, un certain nombre d’avantages et d’inconvénients existent. Parmi les “plus”, on notera une activité stimulée du département recherche et développement des entreprises membres, une création de richesses encouragée, une innovation boostée par la concentration d’un cluster au sein d’une région spécifique, ou encore une économie locale soutenue par la présence d’universités et d’écoles. En revanche, les travailleurs moins qualifiés souffriront de l’afflux de nouveaux talents : le transfert de technologie ne peut en effet pas toujours être garanti, selon la localisation du projet et les contraintes en matière de réglementation et de politique de distribution, des freins à la performance qu’il convient de surmonter.

L’exemple de Grenoble et du dispositif GIANT

Une étude récente a été réalisée sur la base de modèles coopératifs dans la région de Grenoble dans l’Isère. Afin de formuler des recommandations à l’attention des décideurs politiques sur la meilleure façon d’aborder ces partenariats, d’identifier les options disponibles, d’approfondir la question de l’investissement et de déterminer la meilleure mesure du succès et du retour sur investissement. Le premier modèle de l’analyse microéconomique comprenait un consortium de huit partenaires, regroupés sous le nom de “GIANT” (Grenoble Innovation for Advanced New Technologies). L’impact de l’initiative a été mesuré selon différents critères : création d’emplois directs, dépenses des étudiants, revenus des anciens élèves, dépenses des visiteurs de la région, budget total des huit partenaires, impact sur l’entrepreneuriat, et enfin, impact local global. Avec un investissement initial de 2,81 milliards d’euros, les répercussions positives ont été nombreuses. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 7 609 postes créés, 25 757 étudiants entrants, 217 000 anciens élèves, 56 416 jours de visite et un impact économique annuel global de 3,2 milliards d’euros. En outre, 5 700 emplois supplémentaires ont été générés grâce à une démarche d’extrapreneuriat.

Anticiper et mesurer l’investissement

Le projet GIANT n’est pas le seul exemple pour les organisations souhaitant s’inscrire dans une initiative de recherche et d’innovation. À Grenoble toujours, il existe également un cluster localisé, avec une approche plus large de l’innovation territoriale, avec ses avantages et ses inconvénients. Quelle que soit la structure adoptée, certaines étapes de la prise de décision sont cruciales. Il est nécessaire de mettre au point des indicateurs de performance tenant compte de l’impact économique, social et entrepreneurial d’un tel dispositif. Le temps qui s’écoule entre un investissement et les prémisses d’un retour sur investissement est également essentiel. Enfin, il faut développer des outils pour permettre aux partenaires potentiels de comparer les différents modèles avant de s’engager dans une participation. L’argent pèse évidemment dans l’équation, mais il est tout aussi important de choisir le bon type de partenaires et de groupement, et les conditions d’un investissement sain.

 

Ce texte s’inspire de l’article “Le modèle d’innovation territoriale GIANT de Grenoble : l’intérêt des investissements dans les infrastructures de recherche”, écrit par Laurent Scaringella et Jean-Jacques Chanaron, et publié dans la revue “Technological Forecasting & Social Change” (112, 2016).

Laurent Scaringella est professeur assistant de stratégie et d’innovation à la Rennes School of Business. Ses domaines de recherche comprennent la gestion de l’innovation et des connaissances, l’entrepreneuriat, l’économie géographique et la conception organisationnelle.

Jean-Jacques Chanaron est professeur affilié à l’Ecole de management de Grenoble. Il s’intéresse tout particulièrement à l’économie et la gestion de la technologie.

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