Faculty & Research -Spéculer pour accumuler – Quand le trading de devises rapporte des dividendes

Spéculer pour accumuler – Quand le trading de devises rapporte des dividendes

Les fluctuations toujours croissantes de l’économie mondiale et de ses devises représentent des gains potentiels supplémentaires pour les spéculateurs. La possibilité d’investir dans des pays plus rémunérateurs et d’en utiliser d’autres pour financer des opérations a détruit le mythe selon lequel acheter des devises à des taux d’intérêt élevés et en vendre d’autres à des taux plus faibles ne fait que compenser la différence entre les taux de change concernés. Il convient de faire attention à la volatilité du marché et au niveau de dépendance existant entre les devises, toutefois un tel environnement offre des opportunités de placement à ne pas manquer.

L’économie mondiale de l’après 2008 n’apparaît pas comme le terrain le plus favorable au trading de devises, en tout cas si l’on considère le niveau de risque associé. L’instabilité accrue qui s’est insinuée jusque dans les économies les plus fiables semble sur le papier faire de cette stratégie de trading une opération encore plus risquée qu’elle ne l’était auparavant. La pratique d’une telle stratégie et les recherches menées sur la question ont longtemps été basées sur la supposition d’une compensation mutuelle entre investir dans des devises à taux d’intérêt élevé et financer des transactions grâce à des devises à faible taux d’intérêt. En résumé, il y aurait une compensation mutuelle des possibles écarts de rendement sur de telles opérations de trading ou, du moins, les éventuels profits seraient loin d’être importants. Or, tel n’est pas le cas, selon de récents travaux de recherche qui remettent en question le mythe de la « parité des taux d’intérêt non couverte ».

Le phénomène du carry trade sur devises

Il est une constante au sein du paysage du carry trade sur devises : l’impact potentiel omniprésent des appréciations et des dépréciations des taux de change. Pour toute stratégie de placement et financement du genre, tout est une question de timing. Il est donc capital de bien prendre la température des marchés et de savoir quand acheter et quand vendre, l’autre facteur clé étant le comportement global des spéculateurs tirant les ficelles. Le phénomène du carry trade sur devises – selon lequel il est possible de réaliser des profits là où on s’attendrait sinon à une simple compensation des éventuelles pertes – dépend fortement du comportement du spéculateur. Rajoutons la possibilité de créer un niveau de dépendance entre devises dont la stabilité et le taux d’intérêt diffèrent, et voilà que, dans le contexte de la volatilité du marché des changes, se présentent des occasions de générer des gains importants pour un niveau de risque donné.

Savoir où, quand et comment encaisser

Les précédentes recherches en la matière reposaient sur la notion de « parité des taux d’intérêt non couverte », selon laquelle la variation des taux de change attendue est liée aux fluctuations des taux d’intérêt. Cependant, lorsqu’on applique la stratégie du carry trade sur devises, selon laquelle une devise à taux d’intérêt élevé est vendue à terme et une devise à faible taux d’intérêt est achetée à terme, nous supposons que le rendement sur les produits de taux d’intérêt l’emporte sur d’éventuels mouvements de taux de change défavorables, créant des occasions de réaliser d’importants profits. Lorsqu’il est possible d’utiliser des « devises sûres » comme le yen ou le franc suisse, toujours stables et à faible taux d’intérêt, contre des devises plus volatiles et présentant un taux d’intérêt plus élevé, comme le rand ou le réal brésilien, les chances de réaliser une opération rentable sont encore plus grandes. Cependant, le timing et le comportement du spéculateur demeurent des facteurs clés, pour récolter le plus de dividendes possible, à niveau de risque comparable.

Étudier l’interdépendance des devises

Afin d’accroître les chances de succès d’opérations aussi complexes, des stratégies de placement sont élaborées pour tenir compte de mesures sophistiquées de corrélation et de covariance entre les devises. De telles stratégies pratiquées en masse génèrent un phénomène d’interdépendance des diverses devises à taux d’intérêt élevés et faibles, dans une dynamique où la valeur relative des devises échappe au contrôle des banques centrales et des gouvernements concernés.

Afin de mettre à l’épreuve la théorie de la « parité des taux d’intérêt non couverte » et d’évaluer l’impact de cette pratique de plus en plus courante, une étude en deux parties a récemment été menée avec un groupe initial incluant la zone euro et 7 autres pays développés : l’Australie, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni. Les pays en développement que sont Singapour, Taïwan, l’Inde, le Mexique, l’Afrique du Sud, le Brésil et la Turquie ont aussi été inclus. Les cours de compensation quotidiens pour chaque taux de change, ainsi que le cours de compensation quotidien pour les contrats à terme associés avec échéance à 1 mois, ont été appliqués pour la période du 04/01/99 au 29/01/14 du point de vue d’un investisseur américain, en accord avec la majorité des recherches dans le domaine, avec l’apport de données relatives aux mouvements spéculatifs publiées par la CFTC (Commodity Futures Trading Commission, États-Unis). Une deuxième étude empirique avec pas moins de 34 devises a aussi été menée sur une période plus longue allant du 02/01/89 à la même date de clôture.

Lorsque volatilité et opportunité vont de pair

Jusqu’à présent, les recherches en matière de carry trade sur devises suggéraient qu’une telle stratégie de placement fournit un retour sur investissement limité. Toutefois, l’étude microéconomique, empirique, en deux étapes, récemment menée laisse à penser que non seulement un tel comportement spéculatif peut avoir un impact sur les rendements de chaque devise, mais qu’il peut aussi créer une dépendance positive parmi les devises. Alors qu’une grande volatilité du marché est associée à l’obtention d’importants dividendes, l’étude suggère aussi que les périodes où le risque est moindre peuvent offrir des occasions d’investissement rentable, pour tous les pays et devises impliqués. Les banques centrales ont donc intérêt à tenir compte de telles relations économiques entre pays et devises, tout en restant attentives au comportement des spéculateurs. Un retournement de marché et ces conséquences constituent un risque important et une réalité à laquelle ces établissements doivent rester très sensibles. Toutefois, du point de vue de l’investisseur, en regroupant des devises à divers taux d’intérêt, la volatilité du marché devrait avant toute chose être envisagée comme une opportunité à exploiter plutôt que comme quelque chose à éviter


Cet article est inspiré de l’article Violations of uncovered interest rate parity and international exchange rate dependences (Violations de la parité des taux d’intérêt non couverte et dépendances en matière de taux de change à l’international), écrit par Matthew Ames, Guillaume Bagnarosa et Gareth W. Peters et publié dans le Journal of International Money and Finance 73 (2017).

Guillaume Bagnarosa est professeur assistant au sein du pôle Finance et Comptabilité de Rennes School of Business, France. Ses domaines de recherche incluent l’évaluation des actifs financiers, la gestion des risques, l’économétrie, les marchés de matières premières et les fonds spéculatifs.